L’éducation philosophique, une nécessité face aux bouleversements planétaires

[quote]Aujourd’hui, nous le savons, l’activité humaine bouleverse les équilibres naturels en dépit du bon sens. Il y a urgence et il faut agir. En quoi l’éducation philosophique peut-elle permettre à l’homme de devenir plus conscient et acteur de son propre changement ?[/quote]
Nous sommes aujourd’hui face à un enjeu majeur de choix de civilisation. Comme l’indique Nicolas Hulot «Nous ne sommes pas civilisés en profondeur. En agrégeant toutes les crises à un niveau inouï, en combinant pauvreté des peuples et pénurie des ressources, le drame écologique a une capacité de nuisance sans précédent : celle de nous ramener au pire de l’homme et à la barbarie». (1)

Un avenir plus difficile qu’aujourd’hui ?

La crise écologique mondiale que nous vivons actuellement relève de nos modes de vie, de nos com-portements et de notre aveuglement face aux lois du vivant. En effet, le modèle occidental libéral, basé sur la frénésie de consommation et l’exploitation maximale des ressources, est devenu incontrôlable. Et la planète, sans états d’âme, commence à nous le faire savoir. Les bouleversements climatiques s’accélèrent et provoquent malheureusement des drames humains sans précédent.
L’avenir ne s’annonce donc pas comme un long fleuve tranquille et il faut nous préparer et former les générations futures à vivre des moments difficiles.

Un changement de cap

Il y a urgence et les parents qui rêvent en général d’un avenir meilleur pour leurs enfants doivent au-jourd’hui faire face à des situations dont ils n’ont pas eux-mêmes l’expérience. La gestion de cette crise (du grec krisis : décision) nécessite un changement de cap, un renouvellement de nos valeurs et de nos comportements qui puissent féconder une nouvelle vision du monde et ce, dans les différentes sphères de l’activité humaine. C’est donc une véritable mutation culturelle que nous devons engager afin de réconcilier l’homme avec sa terre d’accueil.

Mais qu’entendons-nous par culture ?

La culture est le fondement de toute civilisation. Elle a pour fonction «d’humaniser» l’homme en lui apprenant à se détacher de sa nature animale. Si le code génétique transmet le programme d’évolution physique de l’homme, la culture, elle, à travers les valeurs, les codes, les connaissances, les usages, transmet l’expérience des générations passées et participe de l’évolution individuelle et collective.
Cette expérience, si elle n’est pas intégrée et réactualisée au regard des nouveaux défis du présent, peut figer la société dans une forme de conservatisme aveugle.
La société devient alors incapable de s’adapter, de se remettre en question, de trouver et surtout d’appliquer des solutions créatives pour répondre aux nouveaux enjeux qui se posent à elle.
Ainsi les intérêts particuliers, notamment économiques, dominent sur l’intérêt général et peuvent en-traîner le collectif dans une spirale d’involution, où l’égoïsme et le «chacun pour soi» sont associés à des réactions du type «après moi le déluge…».

Une inertie face à la crise planétaire

Pouvoir expliquer et décrire le processus n’est cependant pas suffisant pour le modifier : force est de constater que les causes de la crise que nous traversons ont été repérées depuis des années, voire des décennies, mais cela n’a pas empêché la poursuite de l’escalade… Pourquoi cette inertie à contrecarrer le phénomène ? L’homme, pour se rassurer, se réfugie dans l’idée que la civilisation dans laquelle il vit est éternelle… L’étude de la philosophie de l’histoire nous apprend cependant que toute civilisa-tion, au même titre que l’homme, est temporelle, et que sa longévité dépend de sa capacité à se renou-veler face aux obstacles qui se présentent à elle. La course à la consommation l’invite à jouir du mo-ment présent, sans se préoccuper des conséquences inhérentes à ce style de vie (pollution, gaspil-lage…). Les stoïciens nous rappellent que le véritable bonheur ne s’acquiert pas par l’accumulation de biens matériels mais par le vécu profond de la liberté intérieure qui nous met en «sympathie univer-selle» avec la Nature, avec le Cosmos.

Une éducation philosophique

Il y aurait certainement encore d’autres causes à évoquer, mais il nous semble important de souligner que de nombreuses réponses peuvent être apportées grâce à l’éducation philosophique. Qu’est ce que l’éducation philosophique ? Un concept qu’a développé Platon, partant du principe que le philosophe est celui qui a reçu une éducation complète, englobant toutes les disciplines et qui pratique une vie morale, l’éthique développée autour de l’idée du Juste, du Vrai, du Beau et du Bon. Seul, ce philo-sophe est capable de diriger les hommes et la cité (polis) et de prendre les meilleures décisions pour le bien de tous. Sans ce regard philosophique global qui suscite une logique d’inclusion et intègre une dimension dans laquelle l’homme s’inscrit comme acteur conscient de son propre destin, dans le res-pect des lois du vivant, l’homme est limité à se concevoir comme une entité cloisonnée, désolidarisée des autres et de l’environnement.

Une ouverture planétaire

Rappelons que la transmission entre les générations s’effectue grâce à l’éducation. Il serait donc perti-nent de repenser l’éducation pour qu’elle puisse faire naître des générations plus conscientes de leurs responsabilités et à même de prendre les décisions qui s’imposent. Comment ? En ouvrant à une di-mension planétaire. En leur permettant de développer leur capacité d’apprendre à apprendre. En les encourageant à penser par eux-mêmes et à se forger leurs propres repères intérieurs. En les rendant autonomes et responsables. En éveillant leur conscience citoyenne. En leur apprenant à relier les con-naissances les unes aux autres et à en dégager les valeurs atemporelles et universelles. En nourrissant le sentiment d’appartenance à une humanité une et à une conscience planétaire grâce à l’étude compa-rée des civilisations et des philosophies.

Apprendre pour savoir vivre

L’enseignement philosophique est en effet source d’inspiration et de réflexion permanentes et propose une autre alternative que celle de rester prisonnier d’un cadre de pensée normatif, forgé à l’école à partir d’un modèle unique. L’apprentissage au sens d’apprendre, du latin apprehendere (saisir par
l’esprit, prendre avec soi) doit constituer l’armature d’un savoir-vivre qui relie pensée et action, cohé-rence entre valeurs et comportements, liens avec soi-même, liens avec les autres, liens avec le monde. La formation, au sens de «donner forme», permet à la personne éduquée de trouver la forme édifiante d’expression qui lui est propre car chaque être est unique. Ce qui prend forme ne doit pas être le résul-tat d’un formatage issu d’un conformisme scolaire mais bien l’expression de la vocation fondamentale qui sommeille en chacun.
Ainsi, après avoir reçu une éducation philosophique, on peut réellement trouver un sens à sa vie et s’épanouir, en se situant dans l’espace et le temps, en exprimant ce qu’on est intrinsèquement.
(1) Nicolas Hulot, Pour un Pacte Ecologique, p 54, Calmann-Lévy, 2006